Naissance à Paris le 21 Mai 1979, à terme dépassé, d’une mère française, professeur d’anglais et d’un père tunisien, réalisateur puis producteur de documentaires. D’emblée une intensité, aussi bien dans les cris que dans le regard, et une précocité qui frappent. Haydée grandit et forcit très vite. A six mois, elle est debout dans son lit à barreaux. Dans les mois suivants, elle passe des heures à tenter de résoudre l’énigme des poupées russes qui disparaissent les unes dans les autres. Une jeune Japonaise, Azousa, veille sur elle et avec une infinie patience, passe des heures à ‘jouer’ avec elle… Un an et quelques jours : premier traumatisme. Haydée doit être opérée d’urgence d’une invagination intestinale qui se résorbe sous l’anesthésie, mais elle doit rester plusieurs jours hospitalisée et ne comprend absolument pas pourquoi elle est ainsi abandonnée. Elle frappe, pour la première et unique fois, lorsqu’on s’approche d’elle le premier matin et lors des longues ‘visites’ tous les après-midi, reste accrochée une bonne heure. Des années après, elle semblera toujours redouter un abandon et supporte très mal les séparations. A trois ans, Haydée manifeste un grand intérêt pour les mots et il ne paraît pas déraisonnable de commencer l’apprentissage de la lecture (et des rudiments du calcul). Cela prendra un an et ce sera parfois laborieux mais dès quatre ans, la maîtrise de la lecture est totale. Premiers cours d’initiation au solfège à la Schola Cantorum. Elle manifeste une grande facilité rythmique mais l’apprentissage de la lecture de notes est beaucoup plus difficile et restera un handicap pendant longtemps. A l’école maternelle, Haydée est un chef de bande, crie très fort dans la cour et en ressort très sale. Naissance de son frère Ismaël le 20 Avril 1983. Elle s’applique à jouer un rôle maternel avec une poupée arrivée en même temps. Elle se positionne nettement en aînée par rapport à son frère mais leurs relations évolueront progressivement vers un rapport plus égalitaire et un grand attachement. Entrée en cours préparatoire à cinq ans. Elle y apprend avec enthousiasme ce qu’elle sait déjà, mais profite semble-t-il du doublon pour mémoriser l’orthographe. Son institutrice, Madame Vlastelic à laquelle elle restera très attachée, s’étonne de la voir produire des textes sans aucune faute. Déjà, elle lit La Comtesse de Ségur. Nous habitons en face de la bibliothèque municipale et il va falloir des emprunts réguliers et massifs de livres pour répondre à la demande. C’est aussi l’année où elle commence le piano sous la direction de Nathalie Béra-Tagrine, qui va jouer un grand rôle dans sa vie. Haydée assimile très vite mais malgré le travail, la maîtrise technique va demeurer fragile. Son intelligence musicale s’épanouit dans Bach, qui est la clé de voûte de sa formation. A l’école, les années suivantes, Haydée s’ennuie un peu et est déclarée agitée. Elle commence l’arabe, mais l’enseignement, à destination des arabophones, donne peu de résultats. L’année de CM2 est un moment d’épanouissement et elle restera attachée à son instituteur, Monsieur Gautier. 1989 est l’année du bicentenaire et spontanément avec quelques élèves de sa classe, elle prépare un spectacle ‘révolutionnaire’. Cela s’ajoute au concert de la chorale scolaire, au spectacle de danse, à l’examen de piano… Sans doute déjà la pression est trop forte, mais elle ne veut rien rater. Elle répond sans doute aussi à la pression d’une ambition familiale qui remonte à trois générations, surtout par les femmes, qui ont vu dans l’Ecole la voie royale. Sa grand-mère, retraitée et demeurant dans l’arrondissement voisin, a du temps pour s’occuper d’elle et lui transmet son savoir, l’emmène visiter musées, cathédrales et autres lieux chargés d’histoire. Elle a aussi la chance, expériences d’autant plus marquantes qu’elles sont précoces, de voir les productions d’Ariane Mnouchkine, William Christie, William Forsythe, au temps de leur apogée. Pour ses divers professeurs et instructeurs, elle est la pâte idéale par ses dons, sa concentration. Toute petite déjà, Haydée est ‘sérieuse’. Après les tout premiers étés passés en Tunisie, les suivants se passent en bonne partie dans la maison d’Auvergne où se retrouvent la fratrie Garcelon (branche maternelle) et leurs enfants. La grange sert de théâtre et Haydée y monte, avec son frère et ses cousins, des spectacles de plus en plus élaborés chaque année. Les hivers sont l’occasion d’autres retrouvailles familiales dans les Pyrénées Atlantiques. Il y aura aussi les maisons d’emprunt en Bourgogne et en Charente. L’immeuble de la rue Nicolas Houël, à deux pas du Jardin des Plantes, est plein d’enfants. Elle retrouve tous les soirs son amie Kathleen. Enfance heureuse, c’est ce qu’elle en dira souvent plus tard. Les deux premières années de collège sont des années plutôt heureuses. En 3e surtout, l’ennui, les phénomènes propres à l’adolescence, la mettent un peu en porte à faux avec l’institution. Elle se lie avec Colombe, qui devient sa “sœur“ d’adoption. Au terme de ses années collège, elle est acceptée au Lycée Fénelon, un second choix dans ce milieu très compétitif. Marguerite Genzbitel y fait régner une atmosphère tolérante et tonique. Elle y rencontre Angeliki et Béatrice. L’amitié avec Béatrice se renouera des années après et elles seront très proches. Curieusement, elle rencontre des difficultés en français au départ, ayant quelque peine à maîtriser les nouveaux exercices. En cours d’année de première, elle décolle, termine brillamment son parcours secondaire. Mais elle accepte mal l’évolution de son corps vers l’ampleur. Elle est acceptée en Hypokhâgne. Elle fait le choix de l’option Musique. Depuis la première déjà, elle fait partie de la chorale du Lycée Fénelon, sous la direction de Madame Sabine Bérard. Elle a beaucoup avancé en piano et solfège, obtenu divers prix, et surtout, elle a perçu chez les préparationnaires musiciens un rayonnement particulier. La première année est l’occasion d’un épanouissement intellectuel. Elle est très proche de deux de ses ‘collègues’ Luc Stellakis et David Gritz. Elle travaille sans relâche, sans se préoccuper du monde matériel. Le rythme s’accélère encore en 2e année avec la préparation du concours. Haydée n’imagine pas faire l’impasse sur quoi que ce soit. De plus, toutes les matières l’intéressent. Elle est admissible et rate de peu l’admission. Sa note moyenne à l’épreuve de musique est une mauvaise surprise pour tout le monde et son professeur en particulier, le nouveau jury ayant manifestement des attentes très nouvelles. Partie pour faire une deuxième khâgne à Fénelon, elle opte brutalement à la rentrée 98 pour un passage au lycée Henri IV, avec l’option Lettres Modernes. Elle appréciera au plus au point l’enseignement de ses professeurs de lettres et philosophie, mais c’est dans ce cadre ultra compétitif qu’elle entre dans une logique destructrice. Un régime débouche sur une forme d’anorexie tardive incontrôlable. En fin d’année scolaire elle entre à l’ENS classée 2e, mais les dégâts sont considérables. La première année d’Ecole se passe à tenter de reprendre du poids, lutter contre une dépression très lourde et préparer l’entrée au Conservatoire National (CNSM) qui lui ouvrira grand ses portes pour des cours d’Eshétique et d’Histoire de la Musique les années suivantes. Elle y rencontrera des interprètes aussi bien que des musicologues. Elle conclura qu’elle se sent mieux parmi les musiciens que parmi les Normaliens. La première année à l’ENS est aussi la première année de cours d’arabe auprès de Houda Ayoub et l’enthousiasme d’Haydée est grand. La fin de l’année voit l’apparition d’un petit mélanome au bras. C’est le deuxième et il y a lieu de s’inquièter. Cependant les prélèvements concluent à une évolution minime, théoriquement sans risque. Le dermatologue autorise Haydée à partir comme prévu au Yémen et ce sera le début d’une relation très forte avec ce pays. Les années d’Ecole s’écoulent. Dans le cadre associatif, elle s’investit dans l’alphabétisation des migrants, expérience forte, enrichissante. Ses élèves majoritairement africains la déroutent parfois mais lui inspirent surtout respect et attachement. L’été 2002 est marqué par la tragédie de la mort de David Gritz dans l’attentat de l’Université Hébraïque de Jérusalem. Sur le plan universitaire il y a la Maîtrise, déjà centrée sur « Le mariage de Musique et Poésie » (au 16e siècle), sous la direction de Madame Fragonard, l’Agrégation de Lettres Modernes, où elle est reçue première, l’année en tant qu’assistante de français à l’Université de Yale… A Yale (année 2002/2003), elle chante avec un ensemble vocal, elle monte un festival de films français avec ses collègues normaliens. Elle parcourt New York en tous sens mais ne se sent tout compte fait pas très en phase avec ce pays. Elle y rencontre Yuli Masinovsky. Ensemble, ils parcourent le Nord Ouest avant son retour en France. Yuli doit l’y rejoindre mais la relation tourne court. Peu après, de retour à Paris, elle forme un couple avec Roberto Limentani, étudiant italien en philosophie à l’EHESS, rencontré au cours d’arabe d’Houda Ayoub. Elle apprend l’italien par osmose et c’est la langue qui surgira quand elle vivra ses dernières heures. Ensemble, ils font de nombreux voyages au Yémen, collectant des musiques et des textes, en particulier des contes traduits dans le cadre de l’atelier de traduction de l’ENS auquel ils participent tous deux, puis publiés. L’intérêt d’Haydée pour l’ethnomusicologie, l’ethnopoétique se dessine nettement, elle suit divers séminaires, participe aux travaux du GREP. Sous la direction de Michel Collot, elle travaille sa thèse qui analyse le passage du texte poétique au texte musical au 20e siècle. Pour donner chair à sa recherche, elle en rencontre et interroge les grands témoins vivants, poètes et musiciens et en particulier Georgy Kurtag, dont l’œuvre (pour partie en écho avec celle de Beckett) et la personnalité la marquent profondément. Elle dresse des ponts par delà les générations avec Georgy et Marta Kurtag, avec Eni, tante de Roberto avec laquelle elle entretient une correspondance suivie, et tant d’autres. Bernard Girard lui ouvre son émission consacrée à la Musique contemporaine : « Dissonances » sur Radio Aligre. C’est d’emblée un média avec lequel elle se sent pleinement à l’aise. Dialoguant avec B. Girard ou seule au micro, elle donne à entendre et comprendre les musiques qu’elle aime. Mais elle s’implique avant tout dans son enseignement des Lettres Modernes à Censier. Plus elle avance, plus elle sait que c’est sa vocation, elle est consciente de son aptitude exceptionnelle (culture, empathie, timbre de voix et modulations) à transmettre le goût de la littérature et elle vit pleinement le bonheur d’enseigner. Sa santé cependant laisse à désirer. Un accident lors d’un voyage au Moyen-Orient a provoqué une fracture vertébrale, suivie d’un nouvel amaigrissement et de troubles divers. Elle souffre du dos, presque sans répit. Les projets pourtant continuent de s’accumuler et Haydée se donne intensément à tout. Comme toujours depuis des années, elle va nager tous les matins. Sa pensée prend un tour plus politique, elle s’intéresse de près à la question de l’immigration et devient de plus en plus critique vis à vis du système. En Juillet 2007, à la veille d’un nouveau voyage au Yémen, elle est hospitalisée. Les examens, pourtant approfondis, ne donnent rien. Au premier semestre, Haydée se concentre sur son enseignement. Puis elle se lance dans la rédaction de sa thèse dont le contenu a été pour l’essentiel amassé au cours de ces années de recherches, rencontres, écrits et interventions publiques. Elle pense aller mieux mais ressent cependant une fatigue chronique. La troisième semaine d’Août 2008, elle est hospitalisée dans un état d’épuisement profond, a priori pour troubles pulmonaires. Quelques jours plus tard, il s’avère qu’il s’agit d’un cancer du foie fulgurant, à un stade déjà si avancé qu’il perturbe gravement la respiration. Dès lors, elle est sous morphine mais reste consciente, au moins par intermittences, jusqu’à la veille de son décès, le 3 Septembre 2008, à l’âge de 29 ans. Ses travaux, écrits, enregistrements, photos…vivront tant qu’ils rencontreront lecture ou écoute. |
Haydée, de la naissance à l'adolescence, sous l'objectif de son père, et plus tard sous d'autres regards et d'autres cieux : Etats-Unis (Université de Yale et Côte Ouest), Italie... |